"Je forme une entreprise qui n'eût jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera moi." Jean-Jacques Rousseau. ***
« On me fit le visage avenant, la joue pleine, teint de tulipe et corps du cyprès de la plaine. Qui me dira pourquoi, dans son vaste atelier, pour moi l'Eternel Peintre a pris autant de peine ? » Omar Khayyam. ***
« Je me hasarderais de traiter à fond quelque matière, si je me connaissais moins, et me trompait en mon impuissance. Semant ici un mot, ici un autre, échantillons dépris de leur pièce, écartés, sans dessein, sans promesse: je ne suis pas tenu d'en faire bon, ni de m'y tenir moi-même, sans varier, quand il me plaît, et me rendre au doute et incertitude, et à ma maîtresse forme, qui est l'ignorance. » Michel de Montaigne. ***
"Começo a circular, o expresso 2222 da Central do Brasil, que parte directo do Boa Successo pra depois os anos 2000". Gilberto Gil. (Il est parti de la gare centrale, l'express 2222, qui va directement de Bon Succès jusqu'après les années 2000) ***
A l'ombre fraîche de Gilberto, de Jean-Jacques et d'Omar, accompagné de nombreux autres arbres-maîtres (Claude Tillier, Jack Kerouac, Arthur Rimbaud, Friedrich Nietzsche, Dizzy Gillespie, Sonny Rollins...) entre ciels bleus et nuages noirs, sécheresses, inondations, les quatre saisons quoi, je viens à vous répondre aux trois questions fondatrices que vous ne m'avez pas posées : qui suis-je, d'où viens-je, où vais-je ?
A travers ces dix sites Internet, en mots, en images fixes et animées, en sons, en citations, je viens vous livrer ma vie et celle de ma famille en sociologue-historien, ou en journaliste, plutôt qu'en écrivain.
Car cette vie, ces histoires, n'ont rien d'exceptionnel, bien au contraire, justement, c'est l'idée. Je vais vous la montrer, la décortiquer dans sa normalité banale, pour plus et mieux en souligner l'extraordinaire niché dans le moindre détail de notre quotidien, tout comme le diable, pour peu qu'on y prête attention, coïncidences, rencontres, hasards, découvertes, déclics, n'importe où, n'importe quand, "tous ces petits moments magiques de notre existence" (salut Alain Souchon), qui nous éclairent et nous réchauffent, magie du réel, qui nous font tenir, malgré tout.
Avec pudeur (naturelle, mais écrire est impudique), timidité (maladive, mais écrire est orgueilleux), et humilité (vigilante, car écrire est prétentieux), je vais me mettre à nu. Le long de la route, chemin faisant (salut Jacques Lacarrière), je sèmerai mes cailloux - pépites - anecdotes qui, amoncelées, font une vie - traçant ma voie, creusant mon sillon, tissant ma toile (le texte est un tricot), vous ouvrant une à une les portes de mon Panthéon.
Expresso, je m'exprime, je presse ma pulpe, j'extirpe tout mon suc, je traie ma sève jusqu'à la dernière goutte, je fouille dans ma vie comme on fouille dans son nez, en grattant bien au fond, en raclant bien les bords.
Expresso, comme cette chanson de Gilberto Gil enregistrée l'année de ma naissance, qui sonna pour moi l'appel vers le Brésil, de sa voix d'enfant fou jubilant à l'idée de franchir l'an 2000. Expresso, comme ce café bu à Rome avec Nazzareno, petite rue proche de la machine à écrire, petit bar syndical où tous les clients sont debout, et se jettent dans le gosier ces trois millimètres de liquide épais, âpre, noir, amer et légèrement mousseux, avant de repartir dans la rue comme propulsés par ce formidable coup de pied au cul.
Je me présente, donc : je m'appelle Thierry pas Henry (une autre chanson, je suis moins fan mais salut Daniel Balavoine, sa vie, son face à face avec Mitterrand, sa mort), et oui, bien sûr, j'aurais aussi bien aimé réussir ma vie.
Identité, état civil : Thierry Eugène Martinet, je suis un enfant du printemps, conçu en automne, né le dimanche 4 juin 1972 au 28 rue Saint Martin (tiens, Martin déjà ?) à Nevers (58), juste avant midi, j'avais faim sans doute. Avec ça vous avez presque mon numéro de Sécu.
183 centimètres, 75 kilos, châtain, yeux marrons, menton moyen, nez moyen, bonnes dents, bons yeux, bonne santé. Ni beau ni moche, entre les deux, "L'éternel peintre" a été plutôt gentil avec moi,
Eugène veut dire "bien né", c'est comme ça j'y peux rien, faut toujours faire avec l'étymologie... Eugène était le nom de mon grand-père paternel et de mon arrière-grand-père maternel.
Thierry est le fils aîné de Clovis, il devint roi.
Martinet, c'est d'abord le petit de Martin (fils de), mais cela peut aussi venir de Mars, le dieu de la guerre, ou de marteau, petit marteau, petite forge.
Ou de l'oiseau, métaphore que j'adore. Et l'oiseau devint mon emblème.
- "Martinet ? Un oiseau rare !"
On le prend pour une hirondelle, or il n'est pas un passereau mais un apus apus. Passereau vient de passéiforme, et apus de apodiforme. Les passereaux sont très nombreux : loriot, bruant, alouette, traquet, merle, grive, hirondelle, cochevis, cincle, pipit, rouge-gorge, rossignol, fauvette, mésange, moineau, chocard, choucas, corbeau, corneille, étourneau, pinson, linotte, chardonneret, bouvreuil...
Le Martinet est seul dans sa famille. Vint-cinq grammes, six cent kilomètres par jour en moyenne, un million par an, il ne se pose que pour se reproduire, d'où sa quasi-absence de pattes et son nom, apodiforme signifie sans patte (il n'a que des griffes), sa vitesse de vol le met hors de portée de tout prédateur. Si vous trouvez un martinet au sol, prenez le délicatement entre vos mains et projetez le doucement en l'air pour qu'il reprenne son envol.
1972, homme, blanc, français, parents professeurs d'histoire et de français, un seul frère, trois grand-parents sur quatre, une jolie maison, une belle enfance.
"Etre né quelque part" (salut Maxime Leforestier) j'ai plutôt eu de la chance de ce point de vue là. Je suis né du bon côté de la rue, "On the sunny side of the street", et sur le bon trottoir.
Chanceux, vous dis-je. Gâté ? Conscient, en être, il faut. Tout pour réussir, au départ "y en avait plein le réservoir". Presque 20 ans que j'écris ce récit, que je ressasse mon script, l'histoire de ma jeunesse-genèse-chrysalide, à cheval - tagada - entre deux siècles, à la charnière entre deux millénaires. A la base, c'était un récit de formation, d'initiation, du style vous allez voir comment je me suis trop bien émancipé, comment j'ai si bien construit mon centre autonome de la pensée, indépendamment de mes parents et de mes origines bourguignonnes et alsaciennes, de mon éducation et de tout le reste, avec force auto-analyses et tours autour de moi, autant de révolutions, renaissances. Je ne serai pas artiste (musicien), alors je ferai de ma vie une oeuvre d'art. Je serai un pont, ou un carrefour, passeur-transmetteur entre les êtres, les continents, les civilisations, les concepts, les générations, aussi.
Je venais de comprendre qu'il fallait être pleinement soi, prendre pleinement possession de soi, se réaliser quoi. Et pour cela se connaître, la fameuse injonction. Et s'aimer aussi. Tout s'est passé en quelques mois, puis en une seule nuit, cette première révolution, je venais d'accomplir le premier tour autour de moi, en cela accompagné, pris par la main depuis plusieurs mois par les lectures de Jack Kerouac et Milan Kundera, par l'illumination totalement improvisée de Keith Jarrett (que des "K" je m'disais) et pour le jour de l'accouchement Sonny Rollins en sage-homme et ce fût ma Renaissance.
Cette nuit d'août 1993, 22 rue Manin à Paris XIXème (où sept ans plus tard je devenais Papa), je suis devenu INDIVIDUNIVERSEL (copy-fight TM) en écoutant "The night has a thousand eyes", j'ai vu la lumière. Pas à pas, marche par marche, note par note, Sonny poursuivait son chemin personnel, me prenant la main jusqu'à un haut plateau de félicité, où tout me disait "Vis ta vie, fais tes erreurs, tes expériences, tes trouvailles et tes choix".
Dans ce moment extra-lucide, écoutant enfin distinctement ma petite voix intérieure, je voyais un petit bonhomme me parler avec la main en porte voix depuis le fond de ma cale, je me sentis faire partie du grand tout, en être un simple élément, en harmonie avec tout l'univers, et j'en ressenti une grande joie calme, ce "sentiment océanique" que Romain Rolland, grand Nivernais avec Claude Tillier et Jules Renard, décrit dans une lettre à son ami Sigmund Freud, qui retiendra l'image.
Ma phrase c'était : "La candeur met fin à la paranoïa". Tout est lié, tout est dans tout, je pouvais tout comprendre, tout expliquer, tout relier, tout traduire.
J'étais invincible. Les coups me renforçaient. J'avais vingt ans et 65 kilos, la vie devant, offerte, grande ouverte. Alors j'avais envie de le dire, d'en informer tout le monde, dire comment c'était simple finalement.
Expresso comme espérer. Espoir. Espérance ("Esperar" signifie à la fois attendre et espérer en espagnol comme en portugais).
Oui il y avait encore de l'espoir dans ces années 90, chute de l'URSS, fin de la guerre froide, Gorbatchev et sa Perestroïka, la poignée de main entre Itzhak Rabbin et Yasser Arafat...
Promesses d'un nouveau jour, je croyais vraiment que nous allions vers la paix entre tous les hommes de bonne volonté, une humanité respectueuse, harmonieuse, éclairée, lumineuse...
Je voulais, comme Rousseau, atteindre l'universel par le récit total de ma trajectoire personnelle, et témoigner en cela de l'universalité de la fraternité humaine. Nous vivons tous la même vie, mais chacune est différente. Depuis 1872, grâce à Darwin, nous savons qu'il n'existe que sept émotions principales : la joie, la tristesse, la colère, le dégoût, la peur, la surprise, le mépris. Toutes nos musiques sont composées de ces sept notes.
A l'époque je voulais raconter ma chrysalide, cette expérience, et alerter déjà sur l'urgence dans laquelle nous étions de réagir avant la catastrophe totale, avant que le Système ne se referme sur nous.
Aujourd'hui, 20 ans-kilos plus tard, après plusieurs révolutions, c'est différent, c'est l'histoire d'un enlisement, d'une dépression-anticyclone, d'une impasse, d'une catastrophe annoncée... La mienne, mais pas que. Et d'un sursaut nécessaire, coup de pied au cul salutaire. Au mien, mais pas que... L'urgence est toujours là, plus grande et plus forte à chaque instant de chacun de nos jours. Nous allons dans le mur, nous sommes au bord du gouffre, nous vacillons sur l'abîme, nous le savons tous, nous le sentons tous, et nous n'avons plus de mot pour le dire.
Les derniers espoirs des années 90 ont fondu, avec Tchernobyl en toile de fond, nous avons vu alors la guerre au Kosovo, Sarajevo, le génocide au Rwanda, puis le cycle des guerres Irak, Koweit... En parallèle, l'empire libéral se développait comme jamais, OMC, FMI, tout se mettait en place pour la privatisation totale de la Terre et des Hommes.
Promesses d'une nouvelle nuit...
Nivernais, français, européen, occidental, c'est au Brésil que je compris que je venais du Vieux Monde, le Premier, l'Ancien. Me présentant à leurs amis, mes nouveaux amis disaient : "Ele vem do Velho Mundo" (eli vè' do véliou mundou), et j'étais tout à coup porteur de toute cette histoire, de toute cette civilisation, avec toutes ses éblouissantes lumières comme ses plus obscures ombres. Aujourd'hui notre Ancien Monde entre dans le quatrième âge, les pays hier émergeant ont une démographie juvénile, un appétit immense, une envie débordante, de vivre et surtout de consommer enfin les produits de masse qu'ici nous ne faisons plus que renouveler tant et plus. En Chine j'ai ressenti cette simple force mécanique, démographique, mathématique, technologique, économique, culturelle, prête à nous submerger, en un gigantesque tsunami.
Notre occidentalité moribonde et mortifère, en désacralisant le réel, finit par réduire les êtres et les choses en trop simples quantités statistiques, équations mathématiques, impulsions numériques, suites de 1 et de 0, impasse, 1 passe et perd, arrogance, Kolossale Arrogance qui nous fît accroire que l'homme pouvait disposer de tout. A sa guise, son bon vouloir. L'homme-Dieu. Résultat ? L'anthropocène, un suicide à l'échelle de la planète. Un écocide, un matricide. L'homme est en train de tuer sa mère la Terre, sa Terre Matrie, Pacha Mama.
Ne comprendrons-nous jamais, ou alors trop tard ? La sixième extinction sera-t-elle la bonne ?
Et puis il y eut New-York, 2001... Le rideau est tombé, la nuit, la guerre partout...
Sommes-nous condamnés à demeurer éternellement ce cowboy demeuré, ivre de conquête, fou d'or et de sang, tirant comme à la foire des milliers de bisons par les fenêtres du train lancé dans la plaine ? Les indiens observent, du haut des collines : "Ils ne prennent pas la viande, pas même la peau. Ils tuent pour tuer. Ils sont fous. Nous sommes perdus". Aujourd'hui c'est nous les indiens, observant le massacre. Vu de l'Ouest nous sommes tous des indiens aux yeux des américains, tout juste bon au mieux à être déplacés et parqués, au pire massacrés; et dans le même instant, vu de l'Est, nous sommes tous des américains aux yeux des chinois, tous dans le même sac.
Coincés, nous sommes.
Homo homini lupus, certes, d'accord. A certains moments de son histoire pourtant, l'humanité était si peu nombreuse (quelques centaines de milliers d'individus tout au plus) que notre seule présence prouve que l'entraide, la solidarité, en un mot l'amour, ont prévalu sur la peur, la haine, la guerre, en un mot la mort. Howard Zinn, ancien pilote de bombardier américain, le dit bien :
- "Être optimiste en cette époque troublée ne relève pas uniquement d’un romantisme inconsidéré. Cela vient de ce que l’histoire des hommes n’est pas seulement celle de la cruauté mais aussi celle de la compassion, du sacrifice, du courage et de la gentillesse." En cela je trouve de l'espoir.
Expresso, je m'exprime, je situationne ma minuscule trajectoire personnelle, infinitésimale trace éphémère (comme le moustique qui ne vit qu'une nuit - FMR) je fixe mon curseur dans l'immense chaîne de l'humanité, humble maillon entre les 100 milliards de frères et de soeurs qui nous ont précédé et celles et ceux à venir.
Minuscule dans le temps, minuscule dans l'espace, sur ce satellite minuscule perdu aux confins de notre galaxie minuscule, elle-même perdue dans l'immensité infinie de milliards d'autres galaxies. Vertige...
Combien de tours, de rotations, combien de jours sur Terre ? 20 000, 30 000 ? Quel choc quand je fis ce calcul, juste à temps, avant de franchir les 10 000 jours, à 27 ans... Entre l'infiniment petit et l'infiniment grand, de l'atome à l'univers, je dois trouver ma place, mon espace et mon temps, mon topo, mon chrono, en vous délivrant en chemin morceaux bruts, traces fraîches, empreintes chaudes et impressions fulgurantes, je dois tracer ma route et cheminer longtemps, le plus longtemps, le plus joliment le plus utilement, et le plus agréablement possible, pour enfin devenir ce que je suis et transmettre in fine le souffle de vie, l'amour, l'espoir et la confiance : l'espérance.
Expresso, aussi comme un grand coup de gueule pour crier cette immense colère, vitale, saine et nécessaire, un déclic-clac, ce déclic électro-choc, hic et hoc, ici et maintenant, prise de conscience, de toute urgence, s'il est encore temps: il faut bien rebâtir un espoir au milieu du désastre, il ne faut pas laisser l'humanité s'échouer, comme le corps des enfants sur les côtes de l'Europe.
Combien d'Aylan encore ? Combien dont nous ne connaîtrons même pas le nom ? Combien de fois "Plus jamais ça" ?
"Tout l'espoir n'est pas de trop pour regarder le siècle en face" (Aimé Césaire).
Tirer le signal, sonner l'alerte, déclencher l'alarme, il y a urgence à agir, ici et maintenant, s'il est encore temps, car "Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour" (Arthur Rimbaud, Démocratie, 1875).
Expresso, comme un dernier espoir que tinte un nouveau diapason, un nouveau "LA", une autre alternative, une autre partition, une harmonie nouvelle, une énergie neuve qui nous propulse, et nous envoie valser à l'unisson, satellites, vers de nouveaux orbites...
Par ces récits-anecdotes, ces petites histoires de ma petite vie, cailloux-perles-bijoux-pépites éparpillés, d'images, de mots et de musiques, autant de découvertes dénichées par autant de plongées introspectives ("Mets ton habit scaphandrier, descend dans le coeur de ma blonde" salut Léo Ferré) je vais vous raconter comment j'ai finalement trouvé ma place dans le grand Tout, souhaitant en cela être utile comme l'arbre l'est, qui par sa seule présence symbolise l'espérance : mes racines profondément plongées dans le XIXème siècle-deuxième millénaire, mes branches éperdument déployées vers le ciel du XXIème siècle-troisième millénaire.
De l'arbre nous serons le tronc, pas d'autre solution. Aux suivants les fleurs, aux suivants les fruits, les cerises de la chanson, pour prolonger la vie, pour enraciner l'avenir, vers l'infini, et au-delà !
A mon père, à ma mère, mes ancêtres, mes racines. Pour mon fils, pour mon Amour, pour mon neveu et mes nièces, mes descendants, mes branches.
Mercredi 23 mars 2022, 18 157ème jour sur terre ou à peu près. Tous droits réservés, enfin j'es-père.